Il n'y a rien d'étonnant au fait que le visage de Qiqi n'affiche aucune expression : elle est, après tout, un zombie.
Mais n'allez pas croire pour autant qu'elle se déplace avec difficulté. En effet, grâce à un entraînement poussé, elle est en réalité étonnamment agile pour un zombie.
Qiqi a en revanche une très mauvaise mémoire, raison pour laquelle elle peut paraître au premier abord plutôt froide et distante.
Elle a conservé l'apparence qu'elle avait lors de sa mort, aussi est-il difficile d'estimer son âge.
Les zombies requièrent normalement des ordres pour pouvoir effectuer une action, mais pour une raison inconnue, Qiqi diffère du zombie habituel, et se donne elle-même ses ordres.

De manière générale, les zombies ont un corps froid et rigide, ce qui explique leur déplacement lent et saccadé.
Afin de remédier à cet inconvénient, Qiqi suit un entraînement régulier et soutenu alliant étirements et gymnastique.
Hu Tao, directrice de la 77e génération du Funérarium Wangsheng, ne voit point l'utilité de toutes ces simagrées, et ne manque pas lorsqu'elle croise Qiqi de lui dire « Tu serais mieux si tu me laissais t'enterrer une bonne fois pour toutes, tu sais. »
Bien évidemment, Qiqi n'a aucune envie de finir sous terre, et continue donc ses exercices à la nuit tombée, loin de tout regard.
Habitant un corps qui refuse de mourir, Qiqi possède en revanche une mémoire bien inférieure à celle de tout mortel.
À moins qu'elle ne fasse preuve d'un effort surhumain, aucun visage ne demeure présent dans son esprit plus de trois jours.
Cela n'est cependant pas nécessairement une mauvaise chose. En effet, pouvoir oublier un événement malheureux peut être considéré par beaucoup comme une bénédiction.
Quant à la personne dont Qiqi doit à tout prix se souvenir... Cette tête à claques, qu'elle voit tous les jours... Bah. Qiqi ne s'inquiète pas outre-mesure de sa mémoire défaillante. Peu importe, après tout.

Qiqi a beau avoir les dimensions d'une enfant, elle n'en demeure pas moins un zombie à la puissance surprenante. Sa petite taille n'est point un désavantage, et lui permet au contraire de se mouvoir avec rapidité.
En combat, Qiqi s'affranchit du self-control dont elle doit faire preuve tous les jours et devient un redoutable zombie à la vitesse de déplacement et à la force accrues.
« Tu es mort. »
Une fois qu'elle est venue, de manière particulièrement stoïque, à bout de ses ennemis, elle reprend contrôle de ses muscles, et retourne à son état habituel.
Il lui arriva un jour d'être menacée par des Pilleurs de trésors alors qu'elle était partie chercher quelque herbe médicinale.
Une petite fille toute seule dans la campagne fait une proie facile à première vue, non ?
Nul doute que ses assaillants qui, quelques secondes plus tard, se retrouvaient tous volant dans les airs, se firent cette même remarque en attaquant.
Comme quoi, il faut toujours éviter de juger les gens d'après leur apparance – les gens, ou les zombies.

Les zombies ne peuvent pas bouger sans ordre de la personne qui a procédé à leur réveil. Mais Qiqi n'a jamais été réveillée, au sens strict du terme, et fait partie d'une infime minorité de zombies capable de se donner leurs propres ordres.
Les instructions de type « Attaque cet ennemi » ne posent généralement pas de problème ; mais celles comme « Va au Karst Jueyun, et escalade les parois rocheuses pour aller cueillir des herbes médicinales », plus complexes, peuvent se solder par un échec, sans pour autaut que Qiqi soit en mesure d'abandonner. On la verra ainsi s'acharner à grimper, peu importe le nombre de fois qu'elle aura échoué.
Annuler un de ses ordres est très simple : entourez-la de vos bras par-derrière, puis dites-lui « C'est toi que j'aime le plus », ou toute phrase approchant, et l'ordre sera annulé.
Malheureusement, ces mots, lorsque prononcés par M. Baizhu, manquent quelque peu de sincérité, et ont un effet souvent limité.
Qui sait, peut-être qu'un jour, quelqu'un comprenant que de tels mots ne peuvent être dits à la légère viendra, et pourra alors les prononcer doucement à son oreille...
Quelle sera alors la réaction de Qiqi ?

Cette histoire a depuis bien longtemps été oubliée de tous.
Une jeune fille répondant au nom de « Qiqi », partie un jour cueillir quelque herbe médicinale, se perdit et pénétra dans le domaine des Adeptes. S'étant blessée à la jambe lors d'une chute, l'enfant se réfugia dans une grotte pour se reposer.
Toute occupée à bander ses plaies, elle pouvait cependant entendre des bruits n'appartenant pas à la dimension des mortels. Mais elle n'aurait jamais pu s'attendre à ce qui advint ensuite.
Un bruit terrible éclata, et elle se retrouva à jamais prisonnière entre la vie et la mort.
Adeptes comme démons, le bien comme le mal avaient compris qu'elle n'était qu'une simple passante innocente, victime malheureuse de feux croisés.
Peut-être que ces circonstances expliquent l'octroi de l'œil divin qu'elle reçut alors qu'elle allait mourir ; peut-être fut-il dû à quelque volonté supérieure... Mais toujours est-il que cet épisode mis fin à la bataille opposant Adeptes et démons.
Les Adeptes, attristés de voir cette enfant injustement frappée, insoufflèrent chacun en elle une part de la force les habitant, lui permettant de ressusciter dans le monde des mortels.
Ceci s'avéra très efficace, – voire peut-être trop efficace. Qiqi, à peine réveillée et incapable de maîtriser l'immense énergie qu'accueillait à présent son corps réssuscité, entra dans un état de folie furieuse...
Et Taille-Monts n'eut d'autre alternative pour ramener la paix que de l'emprisonner dans de l'ambre.

Plusieurs centaines d'années passèrent, jusqu'au jour où quelqu'un, l'ayant découverte toujours prisonnière dans son ambre, la ramena au Funérarium Wangsheng afin de lui offrir des funérailles convenables.
Les chemins de montagne étaient difficile, et le sceau emprisonnant l'enfant avait perdu de son efficacité au fil des ans ; l'ambre contenant la jeune fille se fissura.
Se réveillant au milieu de la nuit, Qiqi finit de détruire l'ambre, puis s'enfuit sous le couvert de l'obscurité.
Obéissant à ses anciennes habitudes, elle se dirigea vers les collines où elle avait l'habitude de cueillir des herbes.
Par chance, elle tomba en chemin sur Baizhu, le gérant du Cottage Bubu, qui la prit sous son aile.
Baizhu, s'il était un docteur de renom, n'était guère un homme de courage ou au caractère trempé.
Cela ne l'empêcha pas de prendre soin de Qiqi, ne se souciant pas du fait que sa mémoire défaillante ne lui permettait même pas de trier les herbes médicinales de la pharmacie.
Il semblerait d'ailleurs que la tolérance dont fait preuve Baizhu à l'égard de Qiqi ne soit pas étrangère à quelque aspiration personnelle.
Bien que possédant un caractère quelque peu rigide, Qiqi n'en est pas moins perspicace, et a compris cette dernière vérité ; mais elle ne s'y attarde pas pour autant.
Peut-être est-ce dû au fait qu'elle est restée si longtemps seule, ou qu'elle a vu trop de choses... Toujours est-il qu'elle chérit l'attention qu'il lui porte, quand bien même cette dernière cacherait quelque motif intéressé.

Qiqi porte toujours sur elle un objet rappelant un carnet.
En raison de sa mémoire défaillante, il s'agit là d'une aide indispensable lui permettant de mener une vie à peu près normale.
Les mots qui en recouvrent les pages sont rédigés d'une écriture élégante et passée remontant à quelque siècles plus tôt.
La première page liste tous les mouvements de son entraînement physique.
Les pages suivantes comportent les descriptions des différentes herbes médicinales, ainsi que certains « ordres ».
Qiqi doit se donner ses propres ordres, aussi ceux-ci sont-ils rédigés en détail, afin de lui permettre de les exécuter de manière optimale et sans qu'elle s'en retrouve prisonnière.
Elle inscrit également sur ce carnet toutes les choses qu'elle doit faire dans la journée, de manière précise.
Elle a récemment ajouté un nouveau chapitre à l'ouvrage, portant sur les exercices mnémotechniques et l'entraînement cérébral.
Il n'est pas exagéré de dire que le carnet est devenu un genre de guide à l'usage des nuls pour tous les aspects possibles et imaginables de la vie...
Mais il est indispensable à la petite zombie. Tant qu'elle n'oublie pas qu'elle le possède...

L'œil divin de Qiqi lui fut accordé aux derniers instants de sa vie, alors qu'elle pensait : « Je veux juste que le temps s'arrête, je veux juste revenir à ma vie d'avant... »
Qiqi avait peur de la mort et voulait vivre, revoir sa famille... Tous ces sentiments se condensèrent en un concept alors qu'elle allait rendre l'âme : la glace.
« Je veux geler le temps, que tout se transforme en glace... »
Et alors que des derniers soupçons de conscience montait cette pensée, un œil divin apparut devant ses yeux.
Les Adeptes puissants et éclairés reconnurent là une forme légitime d'« illumination » – l'aspiration de l'humanité à revenir aux jours anciens, et le désir de protéger et chérir le passé.